vendredi 28 mars 2008

La weidencrantz


Une fille rougeaude, avec des cheveux en désordre qui lui balayaient la face, vint nous ouvrir. Nils lui demanda poliment à parler à l’une ou l’autre des demoiselles Weidencrantz. Tout en essuyant ses mains savonneuses contre son ventre, elle nous indiqua d’un mouvement de la tête une forme menue, tassée dans un fauteuil, à l’autre extrémité du vestibule obscur, puis elle disparut dans la cuisine dont elle fit claquer la porte.

Nos chapeaux à la main, nous avançâmes vers Mlle Weidencrantz qui demeurait, à notre approche, si immobile et si muette que l’idée qu’elle était peut-être morte me traversa l’esprit. Le regard de transe que je lui découvris me rassura paradoxalement sur l’état de sa santé. Mlle Clara Weidencrantz – nous allions apprendre son nom un peu plus tard – était une vieille poupée hagarde dont les grands yeux de porcelaine couleur vif-argent semblaient toujours, lorsque vous vous teniez devant elle, fascinés par une vision horrifiante surgie dans votre dos. Sa chevelure de noyée, d’un blanc-bleu, coulait jusqu’à sa taille, sa bouche peinte en cœur s’ourlait d’un trait de crayon à la mode des artistes du music-hall ; deux touches de rouge posaient sur son minois ratatiné, plus haut que n’aurait osé les situer la nature et quasiment aux coins des yeux, des pommettes luisantes. Par sa coiffure et son maquillage insolite, on comprenait que cette manière d’Ophélie jivaro espérer, sinon retenir, du moins rappeler le souvenir de la beauté éminemment poétique qui avait été la sienne sous le règne de Charles XV.

« Je suis Nils Rydqvist, dit Nils en s’inclinant devant elle, et voici mon ami Sven Oxenholm.. »

F. O. Rousseau La Gare de Wansee éd. Grasset 1988






Vous cherchez une bonne idée ?


Les 16 secrets de la réussite en affaires.

Ça vous tente ?


Aucun commentaire: