vendredi 30 mai 2008

Une mort.

Une mort

C’était une route ordinaire, sous un ciel ordinaire. C’était une route sans odeur particulière au macadam usé, tracée entre des champs plats. Je n’attendais rien, aucun regard, aucune surprise, je roulais lentement.

Je ne compris rien à la forme posée sur la route. Comme un énorme galet sombre et rond. Je m’arrêtai à quelques mètres de lui, sortis de ma voiture et m’avançai.

Sa tête reposait sur l’asphalte encore tiède et son seul œil visible fixait le ciel. C’était un cheval qui respirait à peine, ses flancs presque immobiles, son ventre agité de spasmes courts. Je fis le tour de l’animal comme d’une baleine échouée sur le sable. Les champs autour de nous, à l’infini, étaient déserts et la nuit tombait. Je suis resté jusqu’à la fin. De la voiture me parvenaient avec netteté les sons graves de deux violoncelles. Je sus exactement la seconde où le cœur du cheval s’arrêta. Ses deux pattes avant se détendirent lentement et ses lèvres glissèrent sur une rangée de dents serrées. Le cheval souriait. Son image dans mon rétroviseur m’accompagna longtemps puis disparut. Je n’avais pas réalisé qu’il pleuvait ni que la radio diffusait une mélodie répétitive dont je connaissais à présent chaque reprise.

Fabrice HEYRIÈS, L’eau des glaïeuls, édition Ramsay 1990

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jeudi 22 mai 2008

Humbles gens

Humbles gens

L’asile est à deux kilomètres du village. J’ai fait le chemin à pied. J’ai voulu voir maman tout de suite. Mais le concierge m’a dit qu’il fallait que je rencontre le directeur. Comme il était occupé, j’ai attendu un peu. Pendant tout ce temps, le concierge a parlé et ensuite, j’ai vu le directeur : il m’a reçu dans son bureau. C’est un petit vieux, avec la Légion d’honneur. Il m’a regardé de ses yeux clairs. Puis il m’a serré la main qu’il a gardée si longtemps que je ne savais trop comment la retirer. Il a consulté un dossier et m’a dit :

« Mme Meursault est entrée ici il y a trois ans. Vous étiez son seul soutien. »

J’ai cru qu’il me reprochait quelque chose et j’ai commencé à lui expliquer. Mais il m’a interrompu :

« Vous n’avez pas à vous justifier, mon cher enfant. J’ai lu le dossier de votre mère. Vous ne pouviez subvenir à ses besoins. Il lui fallait une garde. Vos salaires sont modestes. Et tout compte fait, elle était plus heureuse ici. »

J’ai dit : « Oui monsieur le Directeur. »

Il a ajouté : « vous savez, elle avait des amis, des gens de son âge. Elle pouvait partager avec eux des intérêts qui sont d’un autre temps. Vous êtes jeune et elle devait s’ennuyer avec vous. »

C’était vrai. Quand elle était à la maison, maman passait son temps à me suivre des yeux en silence. Dans les premiers jours où elle était à l’asile, elle pleurait souvent. Mais c’était à cause de l’habitude. Au bout de quelques mois, elle aurait pleuré si on l’avait retirée de l’asile. Toujours à cause de l’habitude. C’est un peu pour cela que dans la dernière année je n’y suis presque plus allé. Et aussi parce que cela me prenait mon dimanche, sans compter l’effort pour aller à l’autobus, prendre des tickets et faire deux heures de route.

Le directeur m’a encore parlé. Mais je ne l’écoutais presque plus. Puis il m’a dit :

« je suppose que vous voulez voir votre mère. » je me suis levé sans rien dire et il m’a précédé vers la porte. Dans l’escalier, il m’a expliqué :

« Nous l’avons transportée dans notre petite morgue. Pour ne pas impressionner les autres. Chaque fois qu’un pensionnaire meurt, les autres sont nerveux pendant deux ou trois jours. Et ça rend le service difficile. »

Nous avons traversé une cour où il y avait beaucoup de vieillards, bavardant par petits groupes. Ils se taisaient quand nous passions. Et derrière nous, les conversations reprenaient. On aurait dit un jacassement assourdissant de perruches…

Albert CAMUS / L’étranger – éd. Talantikit 2007.


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vendredi 9 mai 2008

Ecrivains et lecteurs

L’on écrit que pour être entendu ; mais il faut du moins en écrivant faire entendre de belles choses. L’on doit avoir une diction pure, et user de termes qui soient propres, il est vrai ; mais il faut que ces termes si propres expriment des pensées nobles, vives, solides, et qui renferment un très bon sens. C’est faire de la pureté et de la clarté du discours un mauvais usage que de les faire servir à une matière aride, infructueuse, qui est sans sel, sans utilité, sans nouveauté. Que sert aux lecteurs de comprendre aisément et sans peine des choses frivoles et puériles, quelquefois fades et communes, et d’être moins incertains de la pensée d’un auteur qu’ennuyés de son ouvrage ?

Si l’on jette quelque profondeur dans certains écrits, si l’on affecte une finesse de tour, et quelquefois une trop grande délicatesse, ce n’est que par la bonne opinion qu’on a de ses lecteurs.

La Bruyère Les caractères. éd. DIDIER & PRIVAT 1929

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mardi 6 mai 2008

Les gentils petits dollars

Le « marché de la jeunesse » est particulièrement tentant. Tout d’abord à cause de son ampleur (…). Alors que je passais devant une école moderne en compagnie d’un homme d’affaires, il ne put s’empêcher de remarquer en plaisantant à demi :

 Regarde tous ces gentils petits dollars !

Dès maintenant, ce marché est loin d’être négligeable. On considère que les adolescents représentent un chiffre d’affaires de dix milliards de dollars, qui sera vraisemblablement de vingt milliards en 1970. Actuellement, chacun dépense au moins 400 dollars par an. Cela mérite qu’on s’y intéresse !

Les hommes d’affaires n’oublient pas non plus que tous ces futurs chefs de famille ou mères sont susceptibles d’être d’excellents clients plus tard si l’on sait dès maintenant leur inculquer de bonnes habitudes, et leur apprendre à dépenser largement.

Ces jeunes sont des proies si faciles ! ils sont en général plus impulsifs, moins expérimentés et moins malléables que leurs parents. Or, ceux-ci ont de plus en plus tendance à céder à tous les caprices de leurs enfants. Les adolescentes en particuliers sont des clientes rêvées pour les désodorisants, les hormones développant la poitrine, les teintures capillaires, les médicaments contre l’acné et les excitants pharmaceutiques. Les jeunes ne croient peut-être plus à l’autorité, mais ils ont foi en la publicité. (…)

La « bombe démographique » a jeté les hommes d’affaires sur le sentier de la guerre et ils y ont déployé toute leur stratégie commerciale.

Vance PACKARD L’art du gaspillage.

Extrait de « Recueil de textes » 3e AS – IPN 1987.

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lundi 5 mai 2008

La salle à manger

La salle à manger dans laquelle nous dînâmes donnait sur la pergola du rez-de-chaussée. C’était une immense pièce blanche très haute de plafond. Le plancher est couvert de tapis. Une table ronde en acajou en occupait le centre sous une suspension de cuivre. Deux portes ouvraient l’une sur le salon, l’autre sur l’escalier qui coupait en deux le rez-de-chaussée. Ces deux portes étaient peintes en vert. Les quelques tableaux qui ornaient les murs étaient accrochés très haut, deux miroirs étroits encadrés de bois sombre étaient posés sur deux consoles à trois pieds. Les deux canapés qui se faisaient face étaient tendus de toile grenat. Chaque place en était marquée d’un napperon de dentelle jaunie. Sur une table juponnée une superbe lampe à huile à la tulipe gravée très finement était allumée.

Fabrice Heyriès, L’eau des glaïeuls. éd. Ramsay 1990




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vendredi 2 mai 2008

Une vieille dame au restaurant

Une vieille dame s'arrête un soir dans un restaurant d'autoroute. Elle va au self et prend une soupe chaude, puis va s'asseoir toute seule à une table. Elle se rend compte qu'elle a oublié de prendre du sel. Elle se lève, erre un peu dans le restaurant avant d'en trouver, et retourne à sa table.
Mais en revenant, elle y trouve un noir assis, qui plonge sa cuillère dans le bol de soupe et la mange lentement. "Oh! Il a du culot ce noir! pense la brave dame. Je lui apprendrais bien les bonnes manières "
Mais elle s'assied sur le côté de la table, et charitablement le laisse manger un peu de sa soupe. Tirant un peu le bol à elle, elle plonge sa cuillère elle aussi, cherchant à partager au moins cette soupe avec lui. Le noir retire doucement le bol vers lui, et continue de manger. La dame se remet à le tirer légèrement vers elle, pour pouvoir y avoir accès. Et ils finissent la soupe ainsi. Alors le noir se lève, lui fait signe de patienter, et revient avec une portion de frites énorme, qu'il partage avec elle, comme la soupe.
Enfin ils se saluent, et la dame part aux toilettes. Mais quand elle revient, elle veut prendre son sac pour partir, et découvre qu'il n'est plus au pied de sa chaise.
"Ah! J'aurais bien dû me méfier de ce noir!". Elle hurle dans tout le restaurant, criant au voleur, jusqu'à ce que finalement on retrouve son sac, posé au pied d'une table où repose un bol de soupe refroidie... SON bol auquel personne n'a touché.
C'était elle qui s'était trompée de table et avait partagé le repas de l'homme!

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"Le coeur de l'homme est son paradis ou son enfer."

Jean-Jacques Rousseau



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