vendredi 22 mai 2009

Nous aussi, hein ?...

Le matin, quand j’ai ouvert la porte-fenêtre qui donne sur la terrasse, Lorette gravit lentement les trois marches de l’escalier et, parvenue au haut de l’estrade, elle regarde le ciel à droite et à gauche, comme si elle jaugeait de l’œil l’horizon, avant de se tenir immobile dans une sorte de recueillement. On dirait qu’elle prie. Ce qui est incontestable, c’est la dignité, la solennité de son attitude.

Plus tard, ce matin, comme j’avais gagné dans le retiro ma place, à la table où j’écris, je la cherche des yeux. Elle avait disparu, mais c’était elle que j’entendais parler. Son langage était fait de plaintes basses et de petits cris aigus, sans rapport aucun avec l’aboiement, mais comparables, analogues aux balbutiements que font entendre les muets, quand leurs gestes sont dépassés par les émotions qu’ils cherchent à exprimer.

Je m’avance et je la surprends, la tête passée entre les balustres de la terrasse, en grande conversation avec le chien du coiffeur, un fox à poils durs qui faisait son Roméo au bas du terre-plein, comme elle au balcon, sa Juliette, à qui mieux mieux éperdus, désespérés de ne pouvoir bondir l’un vers l’autre.

Et je songeais au bienfait des abîmes qui empêchent les amants de se rejoindre, leur épargnant par là de tenir l’objet de leur convoitise pour ce qu’il est.

Marcel Jouhandeau, Animaleries, éd. Gallimard.



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