dimanche 26 septembre 2010

Une enfance sans joie

Quel bric-à-brac et quel entassement ! Pourquoi faut-il à la plus simple vie tant d’accessoires ? Nous n’avions qu’une seule chambre. On y travaillait, on y mangeait, on y dormait, même certains soirs on y recevait les amis. Autour des murs, il avait fallu ranger deux lits, une table, deux armoires, un buffet, le tréteau du fourneau à gaz, accrocher les casseroles, les photographies de famille, celles du Czar et du Président de la république. Il y avait devant la cheminée un autre fourneau de fonte sur lequel fumait toujours une cafetière de terre jaune. Le fourneau avait encore ses quatre pattes, mais l’une d’elles ayant subi des dommages était entourée d’une grande considération. On la signalait aux nouveaux visiteurs, en les priant de ne point la heurter. Des ficelles couraient d’un coin à l’autre de la pièce sur lesquelles séchait toujours la dernière lessive. Une haute fenêtre donnait sur les jardins du père Bruant. Sous elle, on avait installé « l’atelier », la machine à coudre de ma mère, le bahut de mon père et un grand baquet d’eau dans lequel trempaient toujours des cambrures et des semelles. Une table ronde, dont baissait les battants les jours ordinaires, occupait le centre de la pièce. Mais la merveille de la maison, c’était la tablette de la cheminée ! Entre les fers à repasser, le réveille-matin, le filtre à café et la boîte à sucre, régnaient nos dieux, une petite croix noire avec son Christ argenté et une bonne vierge de faïence bleue à couronne jaune. Le Christ semblait pleurer sur nos malheurs ; la Bonne Vierge nous rendait l’espoir en dorlotant son enfançon. Il y avait aussi, dans des vases coloriés, des fleurs séchées si étranges que je n’en ai vu nulle part de pareilles. Un cousin, disait-on, les avait rapportées d’une colonie lointaine. Elles étaient toutes poussiéreuses ; on ne les touchait jamais, crainte de les effeuiller. Ainsi avions-nous part à la pitié, à la joie, à la beauté du monde. Toutes ces choses divines rayonnaient sur la cheminée.

J. Guéhenno. Journal d’un homme de 40 ans. Grasset

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Une enfance sans argent, sans doute, mais pas sans joie.
On note une famille, et des "visiteurs", de l'amour donc, de l'amitié!
et que ce texte nous ramène à l'enfance! je ne sais pas pourquoi...Sans doute le fourneau, la cafetière en terre?