Dans une pièce moderne [nous sommes en 1938] le casse-tête me
semble de faire un grand jeu et de rester un peintre fidèle d’une société à la
dérive. J’ai voulu essayer ici [« Les parents terribles »] un
drame qui soit une comédie et dont le centre même serait un nœud de vaudeville si
la marche des scènes et le mécanisme des personnages n’étaient dramatiques.
J’ai beaucoup tenu à peindre une famille capable de se contredire et d’agir
avec mystère tout en respectant le volume d’une pièce qui, pour frapper sur la
scène, doit paraître d’un seul bloc.
Il est plus simple de paraître d’un seul boc si quelque personnage
central ne s’écarte jamais d’un vice ou d’une vertu qu’il possède et si ses
comparses ne changent pas non plus leur ligne de bout en bout. Le problème de
ces trois actes [de la pièce citée] consiste donc à montrer des rôles qui ne
fussent pas d’une haleine ; capables de retours, de détours, d’élans et de
reprises et qui formassent très naturellement un total d’une seule haleine et
d’un seul poids.
Il résulte de cette méthode que les rôles doivent être sacrifiés à
la pièce et la servir au lieu de se servir d’elle.
C’est ainsi qu’au deuxième acte, la mère s’efface au bénéfice de la
jeune femme, qu’au premier acte cette jeune femme ne paraît pas et n’existe que
par le fantôme qu’elle suscite et que le père ne donne sa mesure qu’au dernier
acte après avoir mis sur scène une apparence de faiblesse, d’égoïsme et de
cruauté.
Deux rôles forment l’équilibre de l’ordre et du désordre qui
motivent ma pièce. Le jeune homme dont le désordre est pur ; sa tante dont
l’ordre ne l’est pas. J’ai poussé aussi loin que possible une attitude qui
m’est propre : celle de rester extérieur à l’œuvre, de ne défendre aucune
cause et de ne pas prendre parti.
Le théâtre doit être une action et non pas une bonne ou une
mauvaise action. La France ne nous oblige plus à jouer au moraliste et la
grande difficulté à vaincre doit être d’obtenir du style, sans aucune recherche
de langue et sans perdre le naturel.
Ajouterais-je que j’ai inventé mes types, que je n’ai imité
personne que je puisse connaître ? je ne me suis soucié, pour leur assurer
la vie, que d’un enchaînement logique de circonstances illogiques. Cette fois
le timbre de voix et l’allure particulière de certains acteurs, que j’avais en
vue, m’ont aidé dans mon entreprise.
Jeans Cocteau, « Les parents
terribles », 1ère préface. Gallimard, 1938.