samedi 22 octobre 2016

Les juifs d'Oran décrits par l'abbé Bargès (1830)

« (…) Mes observations eurent pour objet principal les juifs qui forment le tiers environ de la population d’Oran. Ils descendent pour la plupart de ceux qui furent expulsés autrefois du royaume d’Espagne ; ils conservent, en effet, quelques traditions de cette contrée relatives à la pratique des arts et des métiers, pour lesquels ils ont, en général, plus de goût et d’aptitude que les musulmans. Ils sont ingénieux, prévoyants, actifs, pleins de ressources et d’industrie ; j’ajouterai que, à l’instar des autres peuples dont la principale occupation est le commerce, ils sont habiles à tromper, et qu’ayant vécu jusqu’à la conquête française, sous le régime de la crainte, du caprice et de l’arbitraire, ils sont rampants, souples, dissimulés et adulateurs, défaut qu’on leur reproche également en France et dans les autres Etats de l’Europe. »
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Abbé Jean-Joseph-Léandre Bargès, « Tlemcen, ancienne capitale du royaume de ce nom », éd. Al-qafila, 2011


 

mercredi 28 septembre 2016

Une mort "enviée"

Le Maire de Fort-National vient d’être assassiné (nov. 1955) en Kabylie. L’adjoint, qui sera bientôt Maire par intérim, échange avec  Mouloud Feraoun sur une mort « enviée ».
« Il est mort sans souffrir.
Le rêve de L.[l’adjoint] ! Mourir sans souffrir ! Sa hantise.
_ A soixante ans passés, c’est fini, on sait qu’on doit mourir. Je ne dis pas le contraire, M.F.[Mouloud Feraoun]. Mais puis-je souffrir moi ?  Puis-je supporter la douleur dans l’état où vous me voyez ? Voilà dans un sens une mort que j’envie.
_ N’exagérons rien M.L. [l’adjoint].
_ Non, non, je sais ce que je dis. Comprenez-moi, je veux bien mourir dans mon lit, moi. Pas d’une balle au cœur. Ce serait affreux. Avec tout ce sang. Si vous aviez vu tout ce sang. Tout petit qu’il [le Maire] était pourtant. (…) Non c’est affreux. Moi ce qu’il me faudrait ? Une embolie. Oui, c’est rapide. Mais si elle venait à mon insu, me surprendre pendant mon sommeil, dans mon lit. Ça oui. »
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Mouloud Feraoun, Journal 1955-1962. Ed. Talantikit 2014. p.36


samedi 13 février 2016

Halte de mineurs

      Maheu avait une montre qu'il ne regarda même pas. Au fond de cette nuit sans astres, jamais il ne se trompait de cinq minutes. Tous remirent leur chemise et leur veste. Puis, descendus de la taille, ils s'accroupirent, les coudes aux flancs, les fesses sur leurs talons, dans cette posture si habituelle aux mineurs, qu'ils la gardent même hors de la mine, sans éprouver le besoin d'un pavé ou d'une poutre pour s'asseoir. Et chacun, ayant sorti son briquet, mordait gravement à l'épaisse tranche, en lâchant de rares paroles sur travail de la matinée. 

ZOLA, "Germinal"
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Nuit sans astres : obscurité à l'intérieur de la mine.
Taille : galerie taillée dans la roche.
Briquet : sandwich.

La tête d'un aigle


LA REINE
Bonjour mon cher comte.
LE COMTE 
(Il salue de la tête à la porte et avance de quelques pas)
Je salue Votre Majesté. Et je m'excuse de paraître devant elle dans ce costume. La route est longue et mal commode.
LA REINE
Il y a longtemps que j'ai demandé qu'on la répare. Mais je trouve naturel de faire figurer cette dépense dans la liste civile. Nos ministres estiment qu'elle m'incombe à moi. La route restera ce qu'elle est.
LE COMTE
L'Etat est pauvre, Madame, et nous sommes au régime de l'économie.
LA REINE
Vous me parlez comme mon ministre des Finances. Je ferme les yeux. Il aligne des chiffres. Il s'imagine que j'écoute et je ne comprends rien.
LE COMTE
C'est fort simple. Wolmar est sur un pic. La main-d'oeuvre est lourde. On raconte que ce bijoux a dû coûter une fortune à Votre Majesté.
Cocteau, "L'aigle à deux têtes", tragédie.

Tête d'écolière

         Le matin, en allant à l'école, j'essayais de respirer profondément l'air brumeux, dans l'espoir d'attraper un bon mal à la gorge. Mais je découvris qu'il m'était très difficile de tomber malade. J'attrapais bien une ou deux petites grippes chaque hiver; mais la fièvre durait un jour et, le lendemain, c'était fini. Je devais revenir à l'école et le supplice recommençait : le brouillard en chemin, la classe, l'angoisse, les devoirs avec des annotations bleues et rouges, l'estrade, la barbiche de bouc. Je rêvais d'une pneumonie. Et je me disais que j'étais tombée bien bas, que ma vie était un désastre puisque j'en étais réduite à appeler de mes vœux la trêve d'une maladie.
Natalia Ginzburg - "Lune pâlissantese", une des nouvelles de La Mère.