Dans la grande
salle au sol de tapis rouges, les derviches commencent leur lent tournoiement
au son de la flûte ney, simple roseau percé de trous dont les sons semblent
susurrer les souffles mêmes de l’âme et de trois tambourins tenus par des
musiciens assis à même le sol. Enveloppé dans sa tunique noire, image de la
cécité de l’homme prisonnier de ce monde, et coiffé de la haute toque de
feutre, image, elle, de la pierre tombale, le cheikh, pôle immobile de la
danse, préside au déroulement du samâ, ce rituel où les derviches vêtus de
blanc reproduisent la lumineuse rotation des planètes et la danse enfiévrée des
atomes. Ici chaque pas, geste ou couleur est un symbole. Étendre
les bras avant de commencer la danse, c’est accepter les dons du ciel, la
descente de la grâce divine, s’apprêter à recevoir les énergies d’en haut par
la main droite dont la paume est tournée vers le ciel et les diffuser vers la
terre par la main gauche dont la paume est tournée vers le sol. En tournant
ainsi lentement puis de plus en plus rapidement sur lui-même le derviche, par
le jeu et le pouvoir de ces deux paumes inversées, attire et concentre sur lui
les énergies du monde qui traversent son corps comme un éclair au ralenti,
muant ce corps en réceptacle des orages, des embellies de l’invisible.
Jacques
LACARRIERE, La poussière du monde, coll. Points, NIL éd. 1997, p. 61