Le soleil brillait, n’ayant pas
d’alternative, sur le rien de neuf. Murphy, comme s’il était libre, s’en tenait
à l’écart, assis, dans l’impasse de L’Enfant-Jésus, West Brompton, Londres. Là,
depuis des mois, peut-être des années, il mangeait, buvait, dormait,
s’habillait, se déshabillait, dans une cage de dimensions moyennes, exposée au
nord-est, ayant sur d’autres cages de dimensions moyennes exposées au sud-est
une vue ininterrompue. Bientôt il lui faudrait s’arranger autrement, car l’impasse
de L’Enfant-Jésus venait d’être condamnée. Bientôt il lui faudrait rapprendre,
dans un cadre tout à fait étranger, à manger, à boire, à dormir, à s’habiller
et à se déshabiller.
Il était assis, nu, dans sa
berceuse. En tek naturel, elle était garantie contre tout vice de fabrication,
y compris les craquements nocturnes. Elle était à lui, elle ne le quittait
jamais.
Le coin où il était assis était
abrité par une tenture de soleil, du pauvre vieux soleil de nouveau pour la
trillionième fois dans La Vierge. Sept écharpes le maintenaient. Deux liaient
les tibias aux bascules, une les cuisses au siège, deux autres au dossier le
ventre et la poitrine, une autre les poignets à la barre de derrière. Seuls étaient
possibles les mouvements locaux. De la sueur lui coulait par tout le corps. La respiration
n’était pas perceptible. Les yeux, froids et figés comme ceux d’une mouette,
fixaient sur la mouture lézardée de la corniche une éclaboussure irisée qui
allait pâlissant et se rapetissant. Quelque part un coucou, ayant sonné entre
vingt et trente, devint l’écho d’un cri de marchand ambulant. L’écho se tut, le
cri se rapprocha, entra dans l’impasse et Murphy entendit : Quid Pro Quo !
Quid Pro quo !
C’était là des choses qu’il n’aimait
pas. Elles le retenaient dans le monde dont elle faisait partie et dont lui
osait espérer qu’il ne faisait pas partie. Il se demandait faiblement ce qui
décomposait son soleil, ce qu’on criait comme marchandise. Faiblement, très
faiblement.
Il était assis ainsi parce cela
lui faisait plaisir ! D’abord cela faisait plaisir à son corps, apaisait
son corps. Ensuite cela faisait plaisir à son esprit, l’élargissait dans son
esprit. Car c’était seulement le corps apaisé qu’il pouvait commencer à vivre
dans son esprit. Et le genre de vie qu’il menait dans son esprit lui faisait
plaisir, un tel plaisir que c’était presque une absence de douleur.
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Samuel Beckett, Murphy, in Choix
de textes, Classiques Larousse. 1985