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samedi 13 février 2016

Tête d'écolière

         Le matin, en allant à l'école, j'essayais de respirer profondément l'air brumeux, dans l'espoir d'attraper un bon mal à la gorge. Mais je découvris qu'il m'était très difficile de tomber malade. J'attrapais bien une ou deux petites grippes chaque hiver; mais la fièvre durait un jour et, le lendemain, c'était fini. Je devais revenir à l'école et le supplice recommençait : le brouillard en chemin, la classe, l'angoisse, les devoirs avec des annotations bleues et rouges, l'estrade, la barbiche de bouc. Je rêvais d'une pneumonie. Et je me disais que j'étais tombée bien bas, que ma vie était un désastre puisque j'en étais réduite à appeler de mes vœux la trêve d'une maladie.
Natalia Ginzburg - "Lune pâlissantese", une des nouvelles de La Mère.

jeudi 22 mai 2008

Humbles gens

Humbles gens

L’asile est à deux kilomètres du village. J’ai fait le chemin à pied. J’ai voulu voir maman tout de suite. Mais le concierge m’a dit qu’il fallait que je rencontre le directeur. Comme il était occupé, j’ai attendu un peu. Pendant tout ce temps, le concierge a parlé et ensuite, j’ai vu le directeur : il m’a reçu dans son bureau. C’est un petit vieux, avec la Légion d’honneur. Il m’a regardé de ses yeux clairs. Puis il m’a serré la main qu’il a gardée si longtemps que je ne savais trop comment la retirer. Il a consulté un dossier et m’a dit :

« Mme Meursault est entrée ici il y a trois ans. Vous étiez son seul soutien. »

J’ai cru qu’il me reprochait quelque chose et j’ai commencé à lui expliquer. Mais il m’a interrompu :

« Vous n’avez pas à vous justifier, mon cher enfant. J’ai lu le dossier de votre mère. Vous ne pouviez subvenir à ses besoins. Il lui fallait une garde. Vos salaires sont modestes. Et tout compte fait, elle était plus heureuse ici. »

J’ai dit : « Oui monsieur le Directeur. »

Il a ajouté : « vous savez, elle avait des amis, des gens de son âge. Elle pouvait partager avec eux des intérêts qui sont d’un autre temps. Vous êtes jeune et elle devait s’ennuyer avec vous. »

C’était vrai. Quand elle était à la maison, maman passait son temps à me suivre des yeux en silence. Dans les premiers jours où elle était à l’asile, elle pleurait souvent. Mais c’était à cause de l’habitude. Au bout de quelques mois, elle aurait pleuré si on l’avait retirée de l’asile. Toujours à cause de l’habitude. C’est un peu pour cela que dans la dernière année je n’y suis presque plus allé. Et aussi parce que cela me prenait mon dimanche, sans compter l’effort pour aller à l’autobus, prendre des tickets et faire deux heures de route.

Le directeur m’a encore parlé. Mais je ne l’écoutais presque plus. Puis il m’a dit :

« je suppose que vous voulez voir votre mère. » je me suis levé sans rien dire et il m’a précédé vers la porte. Dans l’escalier, il m’a expliqué :

« Nous l’avons transportée dans notre petite morgue. Pour ne pas impressionner les autres. Chaque fois qu’un pensionnaire meurt, les autres sont nerveux pendant deux ou trois jours. Et ça rend le service difficile. »

Nous avons traversé une cour où il y avait beaucoup de vieillards, bavardant par petits groupes. Ils se taisaient quand nous passions. Et derrière nous, les conversations reprenaient. On aurait dit un jacassement assourdissant de perruches…

Albert CAMUS / L’étranger – éd. Talantikit 2007.


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