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dimanche 20 août 2017

Philosophes vs crapaud, nègre et diable : le beau et la beauté.

Demandez à un crapaud ce que c’est que la beauté, le grand beau, le to kalon*. Il vous répondra que c’est sa femelle avec deux gros yeux ronds sortant de sa petite tête, une gueule large et plate, un ventre jaune, un dos brun. Interrogez un nègre de Guinée ; le beau est pour lui une peau noire, huileuse, des yeux enfoncés, un nez épaté. Interrogez le diable ; il vous dira que le beau est une paire de cornes, quatre griffes et une queue. Consultez enfin les philosophes, ils vous répondront par du galimatias** ; il leur faut quelque chose de conforme à l’archétype du beau en essence, le to kalon.
(…) pour donner à quelque chose le nom de beauté, il faut qu’elle vous cause de l’admiration et du plaisir.
Nicole Masson, « Voltaire, A la conquête de la Liberté », éd. Du Chêne 2015.
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*le to kalon : le beau (en grec).

** galimatias : discours ou écrit embarrassé, inintelligible (Larousse).

Voltaire vs quaker

[Voltaire prend avec un quaker* un repas frugal puis l’interroge sur sa religion : il évoque d’abord la question du baptême, puis celle de la communion. Le quaker lui explique pour quoi il refuse les sacrements. Puis il justifie l’attitude un peu déconcertante des quakers dans la vie quotidienne.]
«Avoue, dit-il, que tu as bien eu de la peine à t’empêcher de rire quand j’ai répondu à toutes tes civilités avec mon chapeau sur la tête et en te tutoyant ; cependant tu me parais trop instruit pour ignorer que du temps du Christ aucune nation ne tombait dans le ridicule de substituer le pluriel au singulier. On disait à César-Auguste : je t’aime, je te prie, je te remercie ; il ne souffrait pas même qu’on l’appelât monsieur, dominus. Ce ne fut que longtemps après lui que les hommes s’avisèrent de se faire appeler vous au lieu de tu, comme s’ils étaient doubles, et d’usurper les titres impertinents de grandeur, d’éminence, de sainteté, de divinité même, que des vers de terre donnent à d’autres vers de terre, en les assurant qu’ils sont avec un profond respect, et avec une fausseté infâme, leurs très humbles et très obéissants serviteurs. C’est pour être plus sur nos gardes contre cet indigne commerce de mensonges et de flatteries que nous tutoyons également les rois et les charbonniers, que nous ne saluons personne, n’ayant pour les hommes que la charité, et du respect que pour les lois. »

Nicole Masson, « Voltaire, A la conquête de la Liberté », éd. Du Chêne 2015.
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·        http://www.quakersenfrance.org/

mercredi 3 mai 2017

Animalisation progressive de l'homme ?

Les puissances traditionnelles historiques – poésie, religion, philosophie – qui, tant dans la perspective hégélo-kojévienne que dans celle de Heidegger, tenaient en éveil le destin historico-politique des peuples, ont été depuis longtemps transformées en spectacles culturels et en expériences privées, et ont perdu toute efficacité historique. Devant cette éclipse, la seule tâche qui semble encore conserver un peu de sérieux est la prise en charge et la « gestion intégrale » de la vie biologique, c'est-à-dire de l’animalité même de l’homme. Génome, économie globale, idéologie humanitaire sont les trois faces solidaires de ce processus où l’humanité post-historique semble assumer sa physiologie même comme ultime et impolitique mandat.
Si l’humanité qui a pris sur soi le mandat de gestion intégrale de sa propre animalité est encore humaine, au sens de cette machine anthropologique qui, en dé-cidant à chaque fois de l’homme et de l’animal, produisait l’humanitas, il n’est pas facile de dire, et il n’est pas évident de savoir si le bien-être d’une vie qu’on ne sait plus reconnaître comme humaine ou animale peut être senti comme satisfaisant. Certes, dans la perspective de Heidegger, une telle humanité n’a plus la forme de l’ouverture au non-dévoilé de l’animal, mais cherche plutôt en tout domaine à ouvrir et à maîtriser le non-ouvert et, avec cela, se ferme à son ouverture même, oublie son humanitas et fait de l’être son désinhibiteur spécifique. L’humanisation intégrale de l’animal coïncide avec une animalisation intégrale de l’homme.

Giorgio Agamben, « L’ouvert, De l’homme et de l’animal ». Ed. Payot & Rivages, Paris 2006.