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mardi 15 juillet 2008

Les yeux d'Elsa


Les yeux d’Elsa


Tes yeux sont si profonds qu’en me penchant pour boire

J’ai vu tous les soleils y venir se mirer

S’y jeter à mourir tous les désespérés

Tes yeux sont si profonds que j’y perds la mémoire


A l’ombre des oiseaux c’est l’océan troublé

Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent

L’été taille la nue au tablier des anges

Le ciel n’est jamais bleu comme il l’est sur les blés


Les vents chassent en vain les chagrins de l’azur

Tes yeux plus clairs que lui lorsqu’une larme y luit

Tes yeux rendent jaloux le ciel d’après la pluie

Le verre n’est jamais si bleu qu’à sa brisure


Mère des sept douleurs ô lumière mouillée

Sept glaives ont percé le prisme des couleurs

Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs

L’iris troué de noir plus bleu d’être endeuillé


Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche

Par où se reproduit le miracle des Rois

Lorsque le cœur battant ils virent tous les trois

Le manteau de Marie accroché dans la crèche


Une bouche suffit au mois de Mai des mots

Pour toutes les chansons et pour tous les hélas

Trop peu d’un firmament pour des millions d’astres

Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux


L’enfant accaparé par les belles images

Ecarquille les siens moins démesurément

Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens

On dirait que l’averse ouvre des fleurs sauvages


Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où

Des insectes défont leurs amours violentes

Je suis pris au filet des étoiles filantes

Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d’août


J’ai retiré ce radium de la pechblende

Et j’ai brûlé mes doigts à ce feu défendu

Ô paradis cent fois reperdu retrouvé

Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes


Il advint qu’un beau soir l’univers se brisa

Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent

Moi je voyais briller au-dessus de la mer

Les yeux d’Elsa les yeux d’Elsa les yeux d’Elsa


Louis ARAGON, Les yeux d’Elsa.

Recueil de textes 3eAS – IPN- 1987


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samedi 14 juin 2008

Maître et esclave

Maître et esclave

Dieu dit au roi : « Je suis ton Dieu. Je veux un temple. »

C’est ainsi dans l’azur où l’astre le contemple,

Que Dieu parla ; du moins le prêtre l’entendit.

Et le roi vint trouver les captifs, et leur dit :

« En est-il un de vous qui sache faire un temple ?

─ Non, dirent-ils. ─ J’en vais tuer cent pour l’exemple,

Dit le roi. Dieu demande un temple en son courroux.

Ce que Dieu veut du roi, le roi le veut de vous.

C’est juste. »

C’est pourquoi l’on fit mourir cent hommes.

Alors un des captifs cria : « Sire, nous sommes

Convaincus. Faites-nous, roi, dans les environs,

Donner une montagne, et nous la creuserons.

─ Une caverne ? dit le roi. ─ Roi qui gouverne,

Dieu ne refuse point d’entrer dans les cavernes,

Dit l’homme, et ce n’est pas une rébellion

Que faire un temple à Dieu de l’antre du lion

─ Faites », dit le roi.

L’homme eut donc une montagne,

Et les captifs, traînant les chaînes de leur bagne,

Se mirent à creuser ce mont, nommé Galgal1 ;

Et l’homme était leur chef, bien qu’il fût leur égal,

Mais dans la servitude, ombre où rien ne pénètre,

On a pour chef l’esclave à qui parle le maître.

Ils creusèrent le mont Galgal profondément

Quand ils eurent fini, l’homme dit : « Roi clément

Vos prisonniers ont fait ce que le ciel désire ;

Mais ce temple est à vous avant d’être à Dieu, sire ;

Que votre Eternité daigne venir le voir.

─ J’y consens, répondit le roi. ─ Notre devoir,

Reprit l’humble captif prosterné sur les dalles,

Est d’adorer la cendre où marchent vos sandales ;

Quand vous plaît-il de voir notre œuvre ? ─ Sur-le-champ. »

Alors le maître et l’homme à ses pieds se couchant,

Furent mis sous un dais sur une plate-forme ;

Un puits était bouché par une pierre énorme,

La pierre fut levée, un câble hasardeux

Soutint les quatre coins du trône, et tous les deux

Descendirent au fond du puits, unique entrée

De la montagne à coups de pioches éventrée.

Quand ils furent en bas, le prince s’étonna.

« C’est de cette façon qu’on entre dans l’Etna2,

C’est ainsi qu’on pénètre au trou de la Sibylle3,

C’est ainsi qu’on aborde à l’Hadès4 immobile,

Mais ce n’est pas ainsi qu’on arrive au saint lieu.

─ Qu’on monte ou qu’on descende, on va toujours à Dieu,

Dit l’architecte, ayant comme un forçat la marque ;

Ô roi, soyez ici le bienvenu, monarque

Qui, parmi les plus grands et parmi les premiers

Rayonnez, comme un cèdre au milieu des palmiers

Règne, et comme Pathmos brille entre les Sporades.

─ Qu’est ce bruit ? dit le roi ─ Ce sont mes camarades

Qui laissent retomber le couvercle du puits.

─ Mais nous ne pourrons plus sortir. ─ Roi, vos appuis

Sont les astres, ô prince, et votre cimeterre

Fait reculer la foudre, et vous êtes sur terre

Le soleil, comme au ciel le soleil est le roi.

Que peut craindre ici-bas votre Hautesse ? ─ Quoi !

Plus d’issue ! ─ Ô grand roi, roi sublime, qu’importe !

Vous êtes l’homme à qui Dieu même ouvre la porte ».

Alors le roi cria : « Plus de jour, plus de bruit,

Tout est noir, je ne vois plus rien. Pourquoi la nuit

Est-elle dans ce temple ainsi qu’en une cave ?

Pourquoi ? ─ Parce que c’est ta tombe », dit l’esclave.

Victor HUGO, Le travail des captifs / La légende des siècles – Classiques Larousse 1971

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1. caverne en hébreu ; 2. volcan en Italie ; 3. porte qui mène aux enfers ; 4. L’enfer.

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