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vendredi 19 juin 2009

Ah ! la classe d’antan …

A l’école, où Mr Chamarote s’obstinait à nous enseigner le carré , le triangle, le verbe « coudre », les sous-préfectures de l’Allier, le décalitre et la pile électrique, régnait une sourde agitation. C’était l’époque où les hannetons naissent familièrement dans les plumiers, où le ver à soie file son cocon dans les ténèbres du pupitre et où, à l’improviste, à travers la torpeur des classes, s’envole un absurde bourdon ou quelque bombyx aux ailes de feu.

Des courants électriques parcouraient les bancs tachés d’encre. On se passait des mots rapidement chuchotés, et quand une abeille, venue du grand mûrier qui ombrageait la cour, entrait étourdiment par la fenêtre, tous les nez se levaient en l’air, et quarante paires d’yeux enivrés suivaient ce terrible point d’or chargé de miel. Mr Chamarote avait beau se fâcher, tant que l’abeille vrombissait dans le ciel de sa classe, personne ne s’intéressait à la règle de trois ni au règne de Pépin le Bref. Parfois, poussée par son caprice, l’abeille menaçait Mr Chamarote lui-même sur sa chaire. Alors il essayait de la chasser à grands coups de plumeau. La classe frémissait ; quelques rires fusaient ça et là. De la chaire filaient aux quatre points cardinaux des punitions terribles.

− Sucot, tu me copieras trois fois la leçon sur les assolements et tu feras une heure de piquet.

L’abeille s’en allait à travers les splendeurs de la fenêtre et se perdait dans l’air. Mr Chamarote se rasseyait, il y avait un moment de silence.

Henri BOSCO, L’âne Culotte, Gallimard 1937



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mercredi 30 juillet 2008

Du "Londres" dans Berlin

Du « Londres » dans Berlin.

Le narrateur, originaire de Pologne, suivait des études d’art dans l’atelier Herr Fackelmann, en Allemagne. Il cherchait une pension où séjourner…

A Schöneberg, dans le Hauptstrasse, entre le Lindenpark et le jardin botanique, je connaissais une pension délicieuse, où régnait le confort anglais. Le vestibule et le lounge s’y habillaient des enroulements de convolvuli et de jalap d’un papier peint William Morris à fond tendre ; une moquette à ramages y étouffait les pas. Quand cinq heures sonnaient au carillon Westminster, on y servait le thé – avec un nuage de lait -, dans des tasses commémoratives d’Edouard VII. C’est en y raccompagnant Miss Arabella Steward, une condisciple de l’atelier, que j’avais découvert la pension Atkins et que j’avais été aussitôt séduit par son ambiance exotique. Mrs Atkins, une quadragénaire affable et férue de small talk, s’était ingéniée à faire tenir entre les quatre murs de son établissement tout son patriotisme et toutes ses nostalgies. Elle avait ainsi créé un de ces havres pour exilés inacclimatables, véritables petites enclaves du pays d’origine en terre étrangère, comme il en existe, insoupçonnées, dans chaque capitale du monde. La pension Atkins me proposait un coin de Londres dans Berlin et le dépaysement imaginaire dans le dépaysement réel. Par ex tension, le quartier de Schöneberg alentour, aéré et verdoyant, m’évoquait celui de Kensington que je ne connaissais pas. Cette confusion géographique flattait en moi une disposition ambiguë dont j’ai souvent vérifié depuis la permanence, et qui veut que même dans les villes où je suis le plus heureux de me trouver, je ne déteste pas de me donner l’illusion que je suis ailleurs encore.

F.-Olivier ROUSSEAU, La gare de Wannsee, éd. Grasset 1988


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mardi 15 juillet 2008

Plaisir enfantin


Plaisir enfantin.


J’ai connu une petite fille de huit ans qui laissait sa mère l’appeler longtemps, au loin, dans le parc… Elle écoutait, cachée, la voix maternelle s’approcher, s’éloigner, errer, changer d’accent, devenir, autour du puits et de l’étang, rauque et méconnaissable. C’était une petite fille très douce, mais qui en savait déjà trop, comme vous voyez, sur les diverses manières de se donner terriblement du plaisir. Elle finissait par sortir de sa cachette, imitait l’essoufflement et se jetait en courant dans les bras de sa mère : « Je viens de la ferme… J’étais… J’étais avec Anna dans le bas du potager… J’étais… J’étais… » s’excusait-elle.

« Qu’est-ce que tu feras de pire quand tu auras vingt ans ? » lui reprochai-je un jour.

Elle ferma à demi ses yeux bleus délicieux, regarda dans le lointain :

« Oh ! je trouverai bien… » dit-elle.

Mais je crois qu’elle se vantait. Je m’étonnai qu’elle jouât, par deux fois, son jeu devant moi. Elle ne me demandait aucune complicité ni promesse, semblait assurée de moi comme le furent, après elle, d’autres coupables, vaincus par la volupté de l’aveu et le besoin de mûrir sous un regard humain.

Colette. Mes apprentissages. Poche 1972




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lundi 16 juin 2008

Mes apprentissages

L’auteure, dans ses « apprentissages » raconte ses débuts de relations intimes…

Je n’ai guère approché, de ma vie, de ces hommes que les autres hommes appellent grands. Ils ne m’ont pas recherchée. Pour ma part je les fuyais, attristée que leur renommée ne les vît que pâlissants, soucieux déjà de remplir leur moule, de se ressembler, un peu roidis, un peu fourbus, demandant grâce en secret, et résolus à « faire du charme » en s’aidant de leur petitesse, lorsqu’ils ne forçaient pas, pour éblouir, leur lumière de déclin.

Si leur présence manque à ces « souvenirs », c’est que je suis coupable de leur avoir préféré des êtres obscurs, pleins d’un suc qu’ils défendaient, qu’ils refusaient aux sollicitations banales. Ceux qui soulevèrent, jusqu’à une sorte de passion, ma curiosité, n’étaient parfois indécis que sur la manière dont ils versaient leur essence la plus précieuse. Ils faisaient comme les gourmands qui tiennent en mépris le homard à l’américaine, parce qu’ils ne sont pas sûrs de le décortiquer proprement.

Colette, Mes apprentissages – Poche 1972

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