Affichage des articles dont le libellé est Portrait. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Portrait. Afficher tous les articles

dimanche 30 juin 2013

Madame la duchesse de Lenoncourt


Le comte de Mortsauf me présenta fort gracieusement à la duchesse, qui m’examina d’un air froid et réservé. Mme de Lenoncourt était alors une femme de cinquante-six ans, parfaitement conservée et qui avait de grandes manières. En voyant ses yeux d’un bleu dur, ses tempes rayées, son visage maigre et macéré, sa taille imposante et droite, ses mouvements rares, sa blancheur fauve qui se revoyait si éclatante dans sa fille, je reconnus la race froide d’où procédait ma mère, aussi promptement qu’un minéralogiste reconnaît le fer de Suède. Son langage était celui de la vieille cour, elle prononçait les oit en ait et disait frait pour froid, porteux au lieu de porteurs.

Balzac, Le Lys dans la Vallée, G-F, 1972.

vendredi 14 juin 2013

La marquise de Listomère


La marquise de Listomère était une grande dame cérémonieuse qui n’eut jamais la pensée de m’offrir un écu. Vieille comme une cathédrale, peinte comme une miniature, somptueuse dans sa mise, elle vivait dans son hôtel comme si Louis XV ne fût pas mort, et ne voyait que des vieilles femmes et des gentilshommes, société de corps fossiles où je croyais être dans un cimetière.

Balzac, Le Lys dans la vallée, Garnier-Flammarion, 1972.

dimanche 17 octobre 2010

La Swann

Mais au lieu de la simplicité, c'est le faste que je mettais au plus haut rang, si, après que j'avais forcé Françoise, qui n'en pouvait plus et disait que les jambes " lui rentraient ", à faire les cent pas pendant une heure, je voyais enfin, débouchant de l'allée qui vient de la Porte Dauphine - image pour moi d'un prestige royal, d'une arrivée souveraine telle qu'aucune reine véritable n'a pu m'en donner l'impression dans la suite, parce que j'avais de leur pouvoir une notion moins vague et plus expérimentale, - emportée par le vol de deux chevaux ardents, minces et contournés comme on en voit dans les dessins de Constantin Guys, portant établi sur son siège un énorme cocher fourré comme un cosaque, à côté d'un petit groom rappelant le « tigre « de » feu Baudenord », je voyais - ou plutôt je sentais imprimer sa forme dans mon coeur par une nette et épuisante blessure - une incomparable victoria, à dessein un peu haute et laissant passer à travers son luxe " dernier cri « des allusions aux formes anciennes, au fond de laquelle reposait avec abandon Mme Swann, ses cheveux maintenant blonds avec une seule mèche grise ceints d'un mince bandeau de fleurs, le plus souvent des violettes, d'où descendaient de longs voiles, à la main une ombrelle mauve, aux lèvres un sourire ambigu où je ne voyais que la bienveillance d'une Majesté et où il y avait surtout la provocation de la cocotte, et qu'elle inclinait avec douceur sur les personnes qui la saluaient.
Marcel Proust, Du côté de chez Swann

vendredi 22 mai 2009

Nous aussi, hein ?...

Le matin, quand j’ai ouvert la porte-fenêtre qui donne sur la terrasse, Lorette gravit lentement les trois marches de l’escalier et, parvenue au haut de l’estrade, elle regarde le ciel à droite et à gauche, comme si elle jaugeait de l’œil l’horizon, avant de se tenir immobile dans une sorte de recueillement. On dirait qu’elle prie. Ce qui est incontestable, c’est la dignité, la solennité de son attitude.

Plus tard, ce matin, comme j’avais gagné dans le retiro ma place, à la table où j’écris, je la cherche des yeux. Elle avait disparu, mais c’était elle que j’entendais parler. Son langage était fait de plaintes basses et de petits cris aigus, sans rapport aucun avec l’aboiement, mais comparables, analogues aux balbutiements que font entendre les muets, quand leurs gestes sont dépassés par les émotions qu’ils cherchent à exprimer.

Je m’avance et je la surprends, la tête passée entre les balustres de la terrasse, en grande conversation avec le chien du coiffeur, un fox à poils durs qui faisait son Roméo au bas du terre-plein, comme elle au balcon, sa Juliette, à qui mieux mieux éperdus, désespérés de ne pouvoir bondir l’un vers l’autre.

Et je songeais au bienfait des abîmes qui empêchent les amants de se rejoindre, leur épargnant par là de tenir l’objet de leur convoitise pour ce qu’il est.

Marcel Jouhandeau, Animaleries, éd. Gallimard.



Vous cherchez une bonne idée ?

mercredi 6 août 2008

La porporina

La Porporina.

Il y avait six ans qu’elle avait épousé André Sylvéal et elle songeait peut-être qu’elle n’avait que changer de cloître. Ils habitaient ce vieil et spacieux appartement de la rue Visconti depuis le lendemain de leur noce.

Il avait horreur du théâtre ; on ne l’invitait nulle part, il avait découragé toutes les tentatives ; il travaillait et recevait seulement quelques amis. Denise ne se plaignait pas, et André était persuadé que cette belle femme un peu froide partageait ses goûts. Sans doute elle n’était pas malheureuse, mais André seul était heureux. De quoi aurait-elle pu se plaindre ? ils possédaient quelques rentes ; son mari l’adorait, et elle l’aimait.

Des intimes venaient, dînaient, causaient dans les pièces tièdes et débordantes de livres… La tasse à ses lèvres trop rouges, elle buvait le thé lentement, en abaissant sur ses yeux noirs de lourdes paupières bistrées. Elle écoutait Lionel Descharmes qu’elle préférait à tous les autres et qui était le familier le plus assidu de la maison. Il avait la manie de baptiser les gens, et il appelait Denise la Porporina, depuis le soir où elle avait piqué dans ses cheveux une rose rouge, un soir où le Président de la République, après un dîner offert au roi d’Espagne, de passage à Paris, recevait à l’Elysée. Elle songeait souvent à ce gala. Elle était un peu intimidée et est très belle. Pour la première fois de sa vie, elle portait une robe décolletée qui montrait ses bras nus, ses épaules de marbre, les camélias secrets et chauds de sa gorge.

Léo Larguier / La trahison d’Eurydice – Le livre contemporain,1947

.

Vous cherchez une bonne idée ?

Les 16 secrets de la réussite en affaires.

Ça vous tente ?

samedi 28 juin 2008

Telle grand'mère tel père.

Telle grand’mère tel père.

L’air imposant, les traits grands, beaux, fiers, cette redoutable grand’mère, impassible comme un parlement assemblé, avait une sensibilité exquise pour la beauté, à ce point qu’elle ne pouvait conserver à son service une personne qui n’eût au moins les traits réguliers et corrects. C’était chez elle la première condition de tout engagement. Elle aimait avec passion les tableaux, les gravures, dont ses appartements étaient remplis. Surtout elle avait une véritable idolâtrie pour la beauté dans la parole. Dans sa vieillesse, la terreur de l’enfer attrista ses derniers jours. La rigidité qu’elle avait eue pour les autres, elle l’exerça contre elle-même.

De cette première éducation, mon père garda la sévérité, non dans ses actions, qui ne furent jamais rigoureuses, mais dans ses regards, dans son attitude, dans ses paroles, par lesquels il tint ses enfants toujours à une grande distance de lui. N’ayant point connu les caresses, il ne les fit point connaître aux autres. Quoiqu’il eût embrassé toutes les idées nouvelles, il était resté l’homme d’un autre siècle, par l’austérité qu’il portait dans l’éducation. Encore n’avait-il retenu des anciens temps que le côté négatif, l’aversion de toute familiarité, mais non la rigueur des peines. Je ne craignais pas avec lui le châtiment, car il ne me punissait guère ; mais je redoutais sa froideur. Ses grands yeux bleus errants sur moi m’interdisaient sans qu’il parlât. Sa moquerie me glaçait ; je restais muet, immobile, sans savoir que craindre, mais avec la quasi-certitude de déplaire, et cette certitude me rendait désagréable pour lui seul, tant j’étais paralysé par son regard. Si j’eusse pu rompre cette glace et m’élancer vers lui, assurément, il m’eût bien reçu, non par démonstrations équivalentes, qui n’étaient pas dans sa nature, mais avec une bonté réelle. Et cette idée ne me vint jamais.

Edgar QUINET, Histoire d’un enfant, éd. Hachette & Cie 1903.

.

Vous cherchez une bonne idée ?

Les 16 secrets de la réussite en affaires.

Ça vous tente ?

samedi 26 avril 2008

Portrait de Babbitt

Babbitt


[…] Il n’y avait pourtant rien de géant dans l’homme qui commençait à s’éveiller sur la véranda d’une maison de style colonial hollandais, dans le quartier de Zénith connu sous le nom de « Hauteur Fleuries ».

Il s’appelait George F. Babbitt, il avait, en ce mois d’avril 1920, quarante-six ans, et ne faisait rien de spécial, ni du beurre, ni des chaussures, ni des vers, mais était habile à vendre des maisons à un prix plus élevé que les gens ne pouvaient y mettre.

Sa tête, qu’il avait grosse, était rose, ses cheveux bruns, fins et secs. Sa figure gardait dans le sommeil quelque chose d’enfantin, en dépit de ses rides et des marques rouges laissées par ses lunettes de chaque côté de son nez. Il n’était pas gras mais extrêmement bien nourri ; ses joues étaient rebondies, et sur la couverture kaki reposait avec abandon une main potelée, légèrement bouffie. Il avait un air de prospérité, d’homme tout ce qu’il y a de plus marié et de moins romanesque […]




Vous cherchez une bonne idée ?


Les 16 secrets de la réussite en affaires.

Ça vous tente ?


vendredi 28 mars 2008

La weidencrantz


Une fille rougeaude, avec des cheveux en désordre qui lui balayaient la face, vint nous ouvrir. Nils lui demanda poliment à parler à l’une ou l’autre des demoiselles Weidencrantz. Tout en essuyant ses mains savonneuses contre son ventre, elle nous indiqua d’un mouvement de la tête une forme menue, tassée dans un fauteuil, à l’autre extrémité du vestibule obscur, puis elle disparut dans la cuisine dont elle fit claquer la porte.

Nos chapeaux à la main, nous avançâmes vers Mlle Weidencrantz qui demeurait, à notre approche, si immobile et si muette que l’idée qu’elle était peut-être morte me traversa l’esprit. Le regard de transe que je lui découvris me rassura paradoxalement sur l’état de sa santé. Mlle Clara Weidencrantz – nous allions apprendre son nom un peu plus tard – était une vieille poupée hagarde dont les grands yeux de porcelaine couleur vif-argent semblaient toujours, lorsque vous vous teniez devant elle, fascinés par une vision horrifiante surgie dans votre dos. Sa chevelure de noyée, d’un blanc-bleu, coulait jusqu’à sa taille, sa bouche peinte en cœur s’ourlait d’un trait de crayon à la mode des artistes du music-hall ; deux touches de rouge posaient sur son minois ratatiné, plus haut que n’aurait osé les situer la nature et quasiment aux coins des yeux, des pommettes luisantes. Par sa coiffure et son maquillage insolite, on comprenait que cette manière d’Ophélie jivaro espérer, sinon retenir, du moins rappeler le souvenir de la beauté éminemment poétique qui avait été la sienne sous le règne de Charles XV.

« Je suis Nils Rydqvist, dit Nils en s’inclinant devant elle, et voici mon ami Sven Oxenholm.. »

F. O. Rousseau La Gare de Wansee éd. Grasset 1988






Vous cherchez une bonne idée ?


Les 16 secrets de la réussite en affaires.

Ça vous tente ?