Deux fois par jour, vers quatorze heures, et vingt heures, (quand
on n’oubliait pas), on nous apportait des biscuits de troupe - cinq le matin et
cinq le soir -, rarement du pain, et quelques cuillerées d’une soupe faite de
tous les déchets du repas des seigneurs. J’y trouvais un jour un mégot, une
autre fois une étiquette et des noyaux de fruits recrachés.
C’était un Musulman qui était chargé de cette distribution.
Ancien tirailleur, il était passé au maquis et avait été fait prisonnier au
cours d’un combat. En échange de la vie, il avait accepté de servir les paras.
Son nom était Boulafras, mais, par dérision, ceux-ci l’avaient transformé en
« Pour-la-France », et c’est ainsi qu’ils l’appelaient. Ils l’avaient
coiffé d’un béret bleu et armé d’une matraque en caoutchouc, dont il se servait
à l’occasion pour se faire bien voir de ses maîtres. Ce déchet était méprisé
par tous, par les paras comme par les prisonniers.
Henri Alleg*, La question, Les éditions de Minuit, 2008.
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* Henri Alleg fut le rédacteur en chef d’Alger Républicain, un
journal dont la ligne éditoriale fut anti-colonialiste pendant l’occupation
française de l’Algérie. Il avait été torturé par les paras du général Massu.