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vendredi 7 décembre 2018

La nature sculptée


Rien de plus passionnant dans un paysage que de voir la nature imiter les sculpteurs et s’amuser à faire l’artiste ! Depuis son départ de Konya, Yunus est retourné au caravansérail où, cette fois, il sombra dans un sommeil de plomb. Malgré les braiments obstinés des ânes s’inquiétant sans doute de l’absence de lune alors que les chameaux, en leur nonchalance statufiée, dormaient d’un sommeil apparemment sans rêve.
Il repartit le lendemain pour gagner les provinces de l’est et se rendre, au-delà des monts et des gorges de la Cappadoce, dans le hameau où vivait l’autre maître. Chemins bien différents des chemins de l’aller : après quelques heures de marche dans la steppe, le paysage commença à se bosseler, à se fissurer, à s’encolérer, et au terme du grand plateau, à se muer en un délire d’enflures, de boursouflures, d’œdèmes,  de monstrueux bubons que l’obstination du ciel et de la terre, les pluies et les eaux souterraines avaient creusés, rongés, entassés, amoncelés en constructions féeriques ou grotesques, en pics, crêts, mamelons, magmas aux épanchements sans retenue, aux érections obscènes, en cônes colossaux rongés d’alvéoles béantes, en dômes enchevêtrés, arcs vertigineux, tout un théâtre de rocs et de tufs, toute une apocalypse pétrifiée.
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Jacques Lacarrière, La poussière du monde, coll. Points, NIL éd. 1997, pages 75-76.


mardi 1 mai 2018

Le Voile et le Verbe


Comment dit-on poussière en ossète, en ourdou, ou en swahili ? Ce mot existe sûrement dans ces langues, comme dans toutes les langues. Sauf peut-être en esquimau. Poussière et glace ne s’accordent guère. La glace ne s’émiette ni ne s’effrite, elle fond, elle s’évanouit alors que la poussière ne disparaît jamais. Remuante, turbulente, insolente, elle ne cesse de virevolter, de papillonner, de saupoudrer la face du monde du fin réseau de ses cendres instables. Au début était le Voile, non le Verbe. Au début était la Poussière, chemineuse d’immensité, poudreux simulacre des astres, nuée de pollens inféconds. Comment lutter contre la poussière, comment la vaincre, la dissiper – elle qui jamais ne rit – puisqu’elle est une part de nous-mêmes, le volage et subtil visage de notre monde ? On ne supprime jamais la poussière, on ne peut que la déplacer. Au cœur des souffles les plus fous, des trombes, des tornades, elle garde sa pérennité, voire sa sérénité, bien que fantasque et fluctuante. Elle est la complice du vent qui d’abord la berce puis la disperse, la dissémine, la rudoie, la tutoie peut-être. Qui l’étreint, qui l’enserre avant de l’enlever, fiancée volatile, pour la poser, la déposer en d’autres couches. En quelque ailleurs où elle reformera aussitôt ses escouades errantes, ses foules, ses houles sans cesse recommencées, ses fantômes égrotants. Avez-vous jamais regardé avec attention un faisceau de poussière frissonner dans les rais du soleil sans que vous vienne d’emblée à l’esprit l’image d’un ange en gestation, s’efforçant de rassembler ses membres encore informes, embrouillés avant que ces prouesses pulvérulentes, ce théâtre fiévreux ne finissent par une Déposition sur le présent du monde ? Au début était la Poussière. In principio erate Pulvis. La poussière est théologique. C’est cela que je voulais dire.

Jacques Lacarrière, La poussière du monde, Collection POINTS, NIL éd. 1997

jeudi 30 octobre 2008

Les gens pressés

Les gens pressés.

C'était une femme originale et solitaire. Elle entretenait un commerce étroit avec les esprits, épousait leurs querelles et refusait de voir certaines personnel de sa famille mal considérées dans le monde où elle se réfugiait.

Un petit héritage lui échut qui venait de sa soeur. Ces cinq mille francs, arrivés à la fin d'une vie, se révélèrent assez encombrants. II fallait les placer. Si presque tous les hommes sont capables de se servir d'une grosse fortune, la difficulté commence quand la somme est petite. Cette femme resta fidèle à elle-même. Près de la mort, elle voulut abriter ses vieux os. Une véritable occasion s'offrait à elle. Au cimetière de sa ville, une concession venait d'expirer et, sur ce terrain, les propriétaires avaient érigé un somptueux caveau, sobre de lignes, en marbre noir, un vrai trésor à tout dire, qu'on lui laissait pour la somme de quatre mille francs. Elle acheta ce caveau. C'était là une valeur sûre, à l'abri des fluctuations boursières et des événements politiques. Elle fit aménager la fosse intérieure, la tint prête à recevoir son propre corps. Et, tout achevé, elle fit graver son nom en capitales d'or.

Cette affaire la contenta si profondément qu'elle fut prise d'un véritable amour pour son tombeau. Elle venait voir au début les progrès des travaux. Elle finit par se rendre visite tous les dimanches après-midi. Ce fut son unique sortie et sa seule distraction. Vers deux heures de l'après-midi, elle faisait le long trajet qui l'amenait aux portes de la ville où se trouvait le cimetière. Elle entrait dans le petit caveau, refermait soigneusement la porte, et s'agenouillait sur le prie- Dieu. C'est ainsi que, mise en présence d'elle-même, confrontant ce qu'elle était et ce qu'elle devait être, retrouvant l'anneau d'une chaîne toujours rompue, elle perça sans effort les desseins secrets de la Providence. Par un singulier symbole, elle comprit même un jour qu'elle était morte aux yeux du monde. A la Toussaint, arrivée plus tard que d'habitude, elle trouva le pas de la porte pieusement jonché de violettes. Par une délicate attention, des inconnus compatissants devant cette tombe laissée sans fleurs, avaient partagé les leurs et honoré la mémoire de ce mort abandonné à lui-même.

Ce n'est pas l'important si je pense à cette femme dont on me racontait l'histoire. Elle allait mourir et sa fille l'habilla pour la tombe pendant qu'elle était vivante. I1 paraît en effet que la chose est plus facile quand les membres ne sont pas raides. Mais c'est curieux tout de même comme nous vivons parmi des gens pressés.

Albert Camus, L’envers et l’endroit.


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vendredi 5 septembre 2008

Les enchantements de la lecture

Les enchantements de la lecture.

Un livre a toujours été pour moi un ami, un conseil, un consolateur éloquent et calme, dont je ne voulais pas épuiser vite les ressources et que je gardais pour les grandes occasions. Oh ! quel est celui de nous qui ne se rappelle avec amour les premiers ouvrages qu’il a dévorés ou savourés ? la couverture d’un bouquin poudreux que vous retrouvez sur les rayons d’une armoire oubliée ne vous a-t-elle jamais retracé les gracieux tableaux de vos jeunes années ? N’avez-vous pas cru voir surgir devant vous la grande prairie baignée des rouges clartés du soir lorsque vous le lûtes pour la première fois, le vieil ormeau et la haie qui vous abritèrent et le fossé dont le revers vous servit de lit de repos et de table de travail, tandis que la grive chantait la retraite à ses compagnes et que le pipeau du vacher se perdait dans l’éloignement ? Oh ! que la nuit tombait vite sur ces pages divines !

George SAND, Lettres d’un voyageur. Calman-Lévy.



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