Rien de plus
passionnant dans un paysage que de voir la nature imiter les sculpteurs et s’amuser
à faire l’artiste ! Depuis son départ de Konya, Yunus est retourné au
caravansérail où, cette fois, il sombra dans un sommeil de plomb. Malgré les
braiments obstinés des ânes s’inquiétant sans doute de l’absence de lune alors
que les chameaux, en leur nonchalance statufiée, dormaient d’un sommeil
apparemment sans rêve.
Il repartit le
lendemain pour gagner les provinces de l’est et se rendre, au-delà des monts et
des gorges de la Cappadoce, dans le hameau où vivait l’autre maître. Chemins bien
différents des chemins de l’aller : après quelques heures de marche dans la
steppe, le paysage commença à se bosseler, à se fissurer, à s’encolérer, et au
terme du grand plateau, à se muer en un délire d’enflures, de boursouflures, d’œdèmes,
de monstrueux bubons que l’obstination
du ciel et de la terre, les pluies et les eaux souterraines avaient creusés,
rongés, entassés, amoncelés en constructions féeriques ou grotesques, en pics, crêts,
mamelons, magmas aux épanchements sans retenue, aux érections obscènes, en
cônes colossaux rongés d’alvéoles béantes, en dômes enchevêtrés, arcs
vertigineux, tout un théâtre de rocs et de tufs, toute une apocalypse
pétrifiée.
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Jacques Lacarrière, La poussière
du monde, coll. Points, NIL éd. 1997, pages 75-76.